L’héroïne kabyle qui résista à la colonisation française est le personnage central du spectacle musical présenté au Point Fort d’Aubervilliers les 1er et 2 avril.
Que sait-on de cette incroyable figure féminine qui prit la troupe d’une armée de paysans kabyles contre les colons français qui “pacifiaient” l’Algérie à la force des baïonnettes? Peu de choses, mis à part quelques dates, quelques repères, les récits qu’en firent les militaires français dans leurs journaux de campagne, et bien sûr, ce que la mémoire populaire kabyle a conservé de cette histoire. Et c’est bien l’intérêt de ce spectacle, qui croise ces sources en redonnant toute leur place aux chansons kabyles du XIXème siècle. Elles gardent la trace de cette jeune femme née en 1830 (l’année de la conquête d’Alger) mais aussi l’écho des batailles, le fracas des armes, les espoirs et désillusions de tout un peuple.
Je suis émerveillée de la fragilité des choses de ce monde, tout est bouleversé : vous avez vu, ô mortels, les prodiges. Les mers nous ont apporté ces pourceaux qui fouillent les bords des rivières.
– Chanson kabyle du XIXème siècle
Sur scène, Lalla Fadhma (ou Lalla Fatma) est jouée par Evelyne El Garby Klaï, qui incarne cette héroïne surgie du passé, du monde des ancêtres, et qui revient à la vie. Elle veut se raconter aux vivants, pour ne pas qu’ils oublient. La voix d’un musicien, entré sur scène avant elle, a produit cette magie. Ali Amran, chanteur et rockeur bien connu de la communauté kabyle, s’est prêté à l’exercice de se fondre dans l’époque, en arrangeant d’anciens chants du XIXème siècle dont les textes ont été notés, mais dont les mélodies ont été perdues. Il fallait donc les réinventer, et le musicien – qui a activement collaboré aux choix de ces chansons – le fait avec maestria, déployant sur ces mélodies toute la profondeur de sa voix.
Ils traînent avec eux des canons, et ils savent s’en servir, les impies !
Quand ils font feu, la fumée forme d’épais nuages.
Ils sont chargés de mitraille,
qui tombe comme la grêle à l’approche du printemps.
Quant à Evelyne el Garby Klaï, elle rend à merveille tous les états de cette femme rebelle – qui refusa le mariage qu’on lui imposait, puis se mit au service de la résistance kabyle, prenant la parole aux assemblées où seuls les hommes avaient voix au chapitre. Lalla (signe de respect) Fadhma était issue d’une des grandes familles liée à la confrérie soufie Rahmaniyya qui continuera de jouer un rôle important dans les révoltes kabyles (celle de 1871 notamment). On lui prête aussi des visions, inspirées par des rêves lui montrant les signes du chemin à suivre. Cet aura aussi contribua à son autorité, au point qu’elle prit la tête de certaines batailles -comme celle, victorieuse, du haut Sebaou en 1854. Trois ans plus tard, débordés par le nombre des soldats français et acculés dans les sommets, elle et les siens sont défaits. Lalla Fadhma est emmenée en captivité, décourageant nombre de tribus qui finissent par se rendre. Enfermée, elle s’éteint en 1863, succombant à la solitude, au désespoir et au chagrin.
Infortunée Fadhma de Soummeur ! La dame au bandeau et au henné
Son nom était connu de toutes les tribus
l’ennemi l’a enlevée, elle a disparu
La voilà chez les Béni-Sliman
Mes larmes coulent à torrents
– Chanson kabyle du XIXème siècle
Le spectacle, créé lors de la dernière édition du festival Africolor, était un épisode hors-série de la suite de spectacles “Indépendances cha-cha” consacrée aux figures des indépendances africaines, écrite et mise en scène par Vladimir Cagnolari.
A voir au Point Fort d’Aubervilliers les 1er et 2 avril 2023
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