À 27 ans, Samba Peuzzi a déjà construit une trajectoire, commencée dix ans plus tôt à l’ombre du label Rep’Tyle. Aujourd’hui, après Dip Doundou Guis, il en est le porte-drapeau. L’enfant des lointaines banlieues de Dakar a visé juste, trouvé le flow et le tempo, les mots et les sons qui l’ont rendu populaire chez les jeunes, dans un pays où les moins de 20 ans représentent plus de la moitié de la population. Autant dire que le jeune homme tout en longueur a pris du poids, et ce d’autant plus que sa curiosité musicale, son goût pour la danse et la mode, font de lui un artiste inclassable. Comparaison n’est pas raison, mais comme Stromae, le rappeur a une vision globale, et pense avec son équipe les moindres détails de ses clips, de sa stratégie, de ses collaborations. La dernière en date le fait paraître aux côtés de Rema, une des stars de l’afrobeats, le genre devenu roi au Nigeria, et désormais en Afrique et dans les diasporas. Comment, à partir du quartier, on fait grandir sa voix au Sénégal, puis du Sénégal on la porte au reste du monde? Voilà ce qui anime Samba Peuzzi, que PAM a rencontré à Dakar, alors qu’il prépare un nouvel EP pour faire suite à son premier album Senegal Boy (2021). Samba est posé : asseyons nous avec lui, et écoutons ce qu’il a à dire.
Tu peux nous dire d’où te vient ce nom, Samba Peuzzi ?
Mon vrai nom c’est Samba Tine, mais mon nom de scène c’est Samba Peuzzi : le nom est venu naturellement parce qu’étant petit, on faisait de la danse : de la djerk, du break dance… on avait un groupe qui s’appelait Posey gang (posey comme “posé”). Et chacun de nous avait son prénom et ajoutait Posey. Un jour, en voulant écrire le nom sur les réseaux, j’ai écrit Samba Peuzzi, et j’ai laissé comme ça. Après, en commençant à chanter j’ai voulu changer le nom mais c’était déjà parti : je me suis dit qu’il fallait laisser ça aller, c’était original en fait.
Tu étais encore élève, qu’est ce que tu écoutais à cette époque ?
Moi j’écoutais de tout : du mbalax, du rap, des sons spirituels comme le thiant (chants spirituels de louange), les chants mourides (une des grandes confréries musulmanes sénégalaises), parce que moi je suis né dans la banlieue et tu peux pas y échapper. Donc tu apprends aussi à chanter ça. C’est quelque chose qui fait qu’on connaît notre religion, ça nous éduque.
De la danse, comment es-tu passé au chant ?
J’ai commencé à m’intéresser à la musique vers 2012-13, mais c’était juste pour le fun. Je dansais mais j’aimais trop être la star, je me suis dit que j’allais essayer de chanter. Et puis j’ai rencontré les gars du label Rep’Tyle Music et j’ai fait la connaissance de gens comme Dip Doundou Guiss qui est comme un grand frère pour moi, j’ai aussi rencontré le directeur Idy, Bizon, en les rencontrant ils ont vu un talent et m’ont dit : « toi, si tu continues à rapper ça va aller parce que tu as ton propre style ». Dip m’a donné de la force dès le début, il m’a intégré dans son deuxième album, et m’a laissé faire un couplet qui a cartonné.
Dans ce couplet, je disais : « les rappeurs d’ici, leurs yeux sont comme mon quartier, ils s’inondent trop vite ». Et la punchline a capté le public, ça a marqué les gens. Je me suis dit : pourquoi ne pas représenter mon quartier ? Dans mon quartier (Diamaguenn – Diacksao, tout à l’Est de Pikine, Ndlr), il n’y avait pas de rappeur connu du public à l’époque. Et là je me suis dit : je vais me lancer.
Le titre Ghetto Boy incarne bien cette période des débuts…
Dans ce son je disais : « je ne ressemble pas à là ou je vis, je suis pas sale, ta mère te dit : ne viens pas dans ce quartier, mais moi je suis from Diack (Diacksao). I’m a boy ghetto ».
Les gens ont intérêt à penser que si tu habites dans la banlieue, tu devrais pas être clean, porter des costumes-cravates, porter des chaussures chères… mais moi j’ai cassé ça, et ça a influencé les gens de mon quartier, ils sont moins complexés. Pour moi, l’endroit ne détermine pas l’homme que tu es, tu peux être dans la banlieue et être quelqu’un de respectable.
Dans tes clips, tu mets un soin particulier à l’esthétique, à la mode. C’est important pour toi ?
C’est artistique en fait. Si tu fais de la musique tu dois aimer l’art, tu dois aimer la mode. Avant de faire de la musique j’aimais la mode, c’est ça que je dégage, je veux faire rêver les jeunes, leur dire qu’il faut vivre : peu importe que tu sois au village ou ailleurs, soit sapé d’après ton univers, essaie de montrer que t’es stylé, même si tu portes des tenues traditionnelles, essaie de capter les gens : sois beau !
C’est toi qui choisis les tenues ?
Je m’implique mais y’a des gens qui m’aident, je travaille avec un ami sur une marque de vêtements, et il m’aide sur beaucoup de choses. Même si les moyens ne sont pas encore là, on veut se préparer pour un jour ouvrir des usines de textile… des choses que le rappeurs ici souvent ne croient même pas : ils croient qu’un rappeur ne peut pas réaliser ça, mais nous on prépare un avenir ou on peut le faire, au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.
Comment travailles-tu tes textes ?
Moi c’est naturel, ça vient de mon environnement, de la banlieue où j’ai grandi : je raconte en fait, je pense pas trop, je raconte. Des choses palpables : si tu regardes, tu vas les voir. Comme celles dont je viens de parler, que mon quartier s’inonde trop vite. D’habitude j’écris pas trop, je viens et je parle, vas-y correct !
Depuis tes débuts, tu empruntes à différents genres musicaux. Là, tu viens de signer un single avec Rema, comment c’est arrivé ?
Ça c’est l’étape où l’on est actuellement : on a rencontré le producteur Abraham de One God Music qui nous a vu dans un showcase ici aux Almadies (quartier de Dakar, Ndlr). On s’est dit qu’on allait collaborer et pour moi le but c’est de faire sortir la musique sénégalaise comme l’ont fait les Nigérians, les Ghanéens, et les Ivoiriens. On a fait un son qui s’appelle « Mercedes ». Abraham a vu Rema et lui a fait écouter le son. Il a kiffé direct. Quand je suis allé jouer au Badaboum à Paris, Rema était en ville, et on s’est dit pourquoi pas ? Et il a enregistré là. C’est en train de cartonner au Nigéria, la sous-région, ça prend en fait…
Ça sonne plus Afrobeats que tout ce que tu as fait jusqu’ici, tu n’avais pas envie d’y mettre du tama (tambour d’aisselle, important dans la musique mbalax) comme tu l’as fait dans d’autres sons ?
Pour entrer dans leur univers, il faut faire de l’Afrobeats. Si on arrivait direct avec notre culture, Rema allait peut-être moins comprendre : si on persévère avec l’Afrobeats et qu’on commence à avoir de l’audience à l’extérieur, alors on va faire entrer un peu de mbalax, un peu de rythme sabar. On avance doucement doucement. Le mbalax c’est quelque chose avec lequel nous on est né, il faut le comprendre d’abord, il faut l’écouter : il y a le rythme sabar, c’est notre culture. Et pour essayer de le faire aimer, il faut l’adapter à quelque chose de récent, avec les nouveaux rythmes, et nous on travaille là-dessus avec des beatmakers a l’étranger et ici. Ça va prendre du temps peut-être, mais ça va prendre.
Les aînés comme Youssou Ndour, Baaba Maal, Ismaël Lô… ils nous ont montré que c’est possible, ils ont fait des sons entièrement en français, des sons sans mbalax, mais aussi des sons où ils ont mélangé le mbalax avec de la pop et d’autres rythmes, donc c’est cette idée qu’on va essayer de capter : imposer un nouveau type de musique comme les Nigérians l’ont fait, quelque chose de nouveau au plan mondial.
D’après toi, pourquoi le hip-hop est-il devenu si fort au Sénégal ?
C’est la jeunesse. Au Sénégal il y a beaucoup de jeunes, et si les jeunes aiment quelque chose, c’est normal que ça domine : les jeunes ont imposé leur culture, c’est naturel. Si les gens qui sont en haut ou les investisseurs avaient une vision, ils investiraient bientôt sur la musique urbaine, car c’est ça qui va dominer. C’est pas une aide, c’est un investissement : investir sur les jeunes qui veulent exporter la musique et collaborer avec d’autres artistes.
Peut-être aussi parce que le rap permet aux jeunes de dire des choses qu’ils ne peuvent pas dire ailleurs…
Le rap c’est ça à la base : dire quelque chose que les autres musiques n’ont pas tendance à dire, quelque chose qui est en toi, qui est réel, que tu ressens. Si les autres jeunes écoutent le son, ils vont l’écouter comme si c’était eux et c’est ça qui fait la connexion entre jeunes.
Le problème, c’est que les gens ne comprennent pas la jeunesse, ils voient les jeunes comme des enfants, comme un père de famille voit des enfants. En Afrique c’est ça notre problème : t’es jamais un grand. Même moi, j’ai 27 ans, mais les grands de mon quartier me voient comme un enfant. Ils pensent que nous on n’a pas le droit de parler ou de discuter de certaines choses. Mais il faudrait donner parfois la parole aux jeunes dans les grandes réunions où il n’y a que des grandes personnes, au moins intégrer un jeune là-bàs pour qu’il parle. Mais à chaque fois on nous dit d’aller à l’école, l’école.. alors que nous, même la rue c’est l’école ! Il y a des enfants qui ont du talent alors qu’ils ne sont même pas passés par l’école : ceux passionnés par le foot, la mécanique, ainsi de suite… il y a beaucoup d’options, et malheureusement beaucoup de grandes personnes ne l’ont pas compris : ils disent que les jeunes sont impolis, mais le fait de coller l’étiquette d’impolitesse aux jeunes, c’est ça qui les rend impolis. C’est ça que j’ai vu. Il faut essayer de communiquer avec les jeunes, les intégrer dans les grandes discussions : on est des jeunes, mais on n’est pas des enfants, donc on connaît ce que font les grands, et aussi ce que font les plus petits, on est au milieu : donc c’est nous qui devrions parler.
Nous, on connait des trucs qu’ils ne connaissent pas, et eux, ils connaissent des choses comme des événements survenus quand on n’était pas nés. On a besoin d’eux, comme eux de nous. On doit échanger sur plein de choses, et pour moi c’est ça qui va nous permettre de nous développer sur tous les plans, et de trouver des solutions ensemble.
Ce respect inconditionnel des aînés, ça vient de la tradition…
Oui, mais c’est pour ça que le rap est bien. Ce qu’on ne nous permet pas de dire, on le dit dans nos sons. Et même si les grands n’aiment pas, leurs enfants vont l’aimer et le chanter. Il faut essayer de savoir quels sont les problèmes des jeunes, pourquoi beaucoup de jeunes sont dans la drogue, ou en prison ? C’est pas qu’ils sont méchants ou fous, mais parce qu’ils n’ont pas l’occasion de parler ou de comprendre : beaucoup n’ont pas compris comment ça se passe : le pays, le président, c’est quoi ? Ils ne sont pas allés loin à l’école et n’ont pas eu l’occasion de discuter certaines choses… c’est les grands qui doivent nous aider sur ça, expliquer les effets secondaires de la drogue pour qu’ils comprennent : on a besoin de ces discussions entre personnes. On est des jeunes et on a des ambitions qui peuvent même dépasser celles des grands.
Aujourd’hui, justement, quels sont tes rêves ?
Mon rêve c’est un Sénégal meilleur d’abord, où les jeunes et les grands sont ensemble, où on prend des décisions ensembles. Le Sénégal c’est le pays de la teranga, un pays de paix. Et le rêve musical c’est de faire sortir notre musique comme l’ont fait les Nigérians, comme le fait notre grand Youssou Ndour, et que d’autres jeunes qui ont de l’ambition voient au-delà du Sénégal. La musique, mais plus largement l’art, c’est quelque chose qui permet de « vendre » le pays : si tu me dis Nigéria je pense direct à la musique, pas au foot.
Je connais pas le président du Nigéria, mais je connais Wizkid, je connais Rema, je connais Davido. Ça, c’est l’art qui l’a fait. Donc on doit travailler sur ce plan culturel, avec les jeunes, parce que c’est l’intérêt du pays. Comme l’équipe nationale qui a gagné la coupe d’Afrique, si demain on devient une star planétaire, c’est le Sénégal qui gagne.
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