novembre 22, 2024
Chicago 12, Melborne City, USA
Music Music Popular

Somi et le rêve de Miriam Makeba


Il en faut de l’audace, de l’amour et un sacré talent pour rendre hommage, même humblement, à celle qui fut un monument : Miriam Makeba.

Laura Kabasomi Kakoma, ou simplement Somi à la scène, a toutes les qualités requises pour s’asseoir au soleil de la cantatrice sud-africaine dont la vie est un roman. La chanteuse dont la voix s’est patinée par toutes les nuances du jazz, a été saluée par une nomination aux Grammy Awards en 2021. Née aux Etats-Unis, elle a reçu de ses parents venus du Rwanda et d’Ouganda un héritage culturel et une sensibilité qui ont puissamment ancré son cœur de l’autre côté de l’océan, sous lequel passent les racines reliant les ancêtres africains à tous leurs enfants des diasporas. Somi n’a jamais oublié l’Afrique : tout jeune enfant, elle a suivi ses parents quelques années sur le Continent, notamment en Zambie, puis consacré ses années d’étude aux cultures africaines, alors même qu’elle signait un premier album, à l’âge de 22 ans. Le jazz et l’Afrique, renouer les fils de deux continents : ce n’est pas là le moindre des points communs avec la grande dame de la chanson sud-africaine.

Harlem-Sophiatown-Chicago, terres de jazz

Le jazz : voilà un pont qui relie à merveille les Etats-Unis, où il a vu le jour, et l’Afrique du Sud, où cette musique a donné de nouvelles fleurs. Les deux pays ont connu les douleurs de la ségrégation, du déracinement, et à Johannesbourg comme à New York ou Chicago, cette musique servit de canal d’émancipation, tout en forgeant une identité noire originale, moderne et urbaine, qui gagnerait le monde entier. Harlem comme Sophiatown sont les quartiers jumeaux où le jazz, des deux côtés de l’océan, a grandi. C’est justement dans des quartets vocaux jazzy que Makeba fit ses débuts. Elle se fera connaître dans la comédie musicale King Kong, avant de chanter l’un de ses tubes, « Lakutshuni I’langa », dans le film Come Back Africa de Lionel Rogosyn. C’était avant son départ d’Afrique du Sud, qui se transformera malgré elle en exil, puisqu’elle n’y rentrera que 30 ans plus tard, après la libération de Nelson Mandela.

Cette chanson, que Makeba chanta aussi avec Harry Bellafonte -son mentor aux Etats-Unis, Somi la reprend magnifiquement dans son album hommage à Zenzile (le premier prénom de Miriam, qui signifie « tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même »). Ce disque paru fin 2022 dans lequel elle réinterprète 17 titres de Mama Africa est une réussite, car c’est bien, comme son nom l’indique, une « Reimagination of Miriam Makeba » – une nouvelle version, revisitée, réhabitée, dans les couleurs jazz qui sont celles dont s’habille volontiers la jeune américaine. Elle y montre sa personnalité propre, alliant délicatesse et puissance, et y retrouve, sans jamais perdre sa propre identité, les accents de la diva sud-africaine (et notamment ses jeux de souffles). Ce projet d’ailleurs vient de loin, car Somi s’est mise très tôt dans les pas de sa devancière. En 2009, elle invitait déjà sur son album celui qui fut le compagnon d’exil américain, le mari, puis le complice de toujours de Makeba, le trompettiste Hugh Masekela. Encore une figure tutélaire qui, toute sa vie durant, sut associer musique et combat politique.

Cet engagement, Somi ne l’oublie pas, elle qui reprend le célèbre Pata Pata de Miriam, chanson légère de danse et d’ambiance, en lui donnant une couleur éthérée, méditative, et surtout militante : à intervalles réguliers, on y entend des extraits d’une interview de Mama Africa qui explique, froidement, cliniquement, ce qu’est l’apartheid. La chanson, au tempo ralenti, portée par des cordes qui lui donnent profondeur et solennité, et par la voix planante et presqu’irréelle de Somi, offre un décor parfait pour l’apparition du fantôme de Zenzile, et de ses mots.

Come back (to) Africa

L’Afrique, comme Makeba avant elle, Somi y retournera. Car bien après ses années d’enfance passées à suivre ses parents affectations en Afrique, la jeune femme décide de s’y rendre, et de s’installer durant 18 mois au Nigeria, y trouvant l’inspiration et les influences de l’album « The Lagos Music Salon »(2013), où elle convie non seulement le génial rappeur Common, mais aussi une autre héritière de Makeba : la béninoise Angélique Kidjo, elle aussi installée à New York.

Ensemble, elles enregistrent une détonante version de la chanson « Lady » de Fela, l’inventeur de l’afro beat qui sut lui aussi tisser musique et engagement politique en une seule et même corde (souvent raide, pour Fela). Le Nigérian- chantre des luttes d’émancipation afro- avait lui aussi fait un voyage aux Etats-Unis qui allait changer le cours de sa vie et de sa musique. Pour la petite histoire, dans l’avion qui en 1969 le menait à Los Angeles, il rencontrait une dame assise à côté de lui …  Miriam Makeba, qui lui prodiguera conseils et contacts dans le monde du spectacle américain.

Mais revenons à Somi, qui tout au long de son ascension musicale continue de tracer son africain : En 2017, elle consacre un album entier baptisé Petite Afrique à ces Africains venus s’installer à New York, et notamment à Harlem où vit une importante communauté sénégalaise. Elle invite d’ailleurs Aloe Blacc, et adapte la chanson « Englishmen in New York » de Sting en se mettant dans la peau d’un émigré africain. Trois ans plus tard, elle se concentre sur l’Afrique du Sud et son idole, Miriam Makeba. Elle écrit Dreaming Zenzile, une comédie musicale dont la production sera interrompue par la pandémie de Covid 19, mais se poursuivra en 2021 par une grande tournée américaine saluée par la critique.

© Chris Schwagga

En incarnant Mama Africa à la scène, elle a appris à se mettre dans sa peau, dans ses pas, et jusque dans les couleurs singulières de sa voix. C’est cette aventure qui trouvera son aboutissement en studio, où elle enregistre en 2022 Zenzile, The Reimagination of Miriam Makeba. Elle mêle à ses couleurs vocales celles d’artistes sud-africains comme les chanteuse Msaki et Thandiswa Mazwai, le piano du génial pianiste Nduduzo Makhatini, les splendides chœurs zulus de Ladysmith Black Mambazo, mais aussi Gregory Porter, Angélique Kidjo, ou encore Seun Kuti, l’un des fils de Fela.

C’est cet album, et tout ce chemin parcouru, qu’elle présentera sur les scènes européennes (le 6 mars à Paris, le 11 à Lille et le 12 mars à la Philharmonie du Luxembourg). Il est, écrit-elle, « ma tentative d’honorer la voix sans concession d’une femme africaine qui a inévitablement fait de la place pour mon propre parcours et celui d’innombrables autres artistes africains. En bref, je lui suis redevable. Nous lui sommes tous redevables”.

Gageons que là où elle est aujourd’hui, Zenzile Miriam Makeba doit être fière des graines qu’elle a semées, et des filles spirituelles qu’elle a inspirées. Somi, on l’aura compris, en fait partie.

© Chris Schwagga





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