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Après quoi cours-tu, Nadah El Shazly ?


« Je crois que l’idée, depuis le départ, c’est de s’exprimer haut et fort » explique Nadah El Shazly. Une réponse en guise de leitmotiv pour près de quinze ans de création à la pointe du décloisonnement. À dix-sept ans, la jeune Nadah squatte l’impressionnante scène métal du Caire des années 2000, avec un projet punk rock de reprise des glorieux Misfits : « une belle expérience bruitiste, bruyante même, qui m’a permis de pouvoir m’exprimer en criant ! Au sein de cette scène tentaculaire, on nous tolérait à l’occasion de quelques concerts. Cette scène a d’ailleurs par la suite beaucoup souffert des conservateurs, on l’accusait alors de pervertir la jeunesse. Beaucoup de concerts ont été annulés, au point qu’aujourd’hui, ce mouvement est éteint. »

Passée cette expérience dans le punk, « qui était tout de même principalement récréative » rappelle-t-elle, Nadah s’initie à la production de musique électronique : « je me suis mise à composer ma propre musique, dans le courant des années 2010. C’est autour de 2013 que j’ai vraiment commencé à m’intéresser au son ». En 2016 elle enregistre Ahwar, son premier album qui sortira l’année suivante. Cet opus avant-gardiste oscille entre rock progressif, free-jazz, electronica poisseuse et trip-hop, servi par un chant absolument vénéneux, ainsi que de nombreuses incartades dans le patrimoine égyptien traditionnel. Il faut écouter des morceaux comme « Barzakh » ou « Ana ‘Ishiqt » pour comprendre l’étrange pont que dresse Nadah entre son identité égyptienne et son appétit pour les nappes expérimentales contemporaines. 

Acclamé par la critique, ce six titres va lui ouvrir les portes des festivals européens, dont le très pointu Guess Who, où elle se produira en 2017. Un festival de découvertes, au sein duquel la musicienne et productrice va faire la promotion du zãr, un rituel d’élévation et de possession qui survit au Caire : « j’ai découvert ce culte au sein d’un lieu, le Makan, qui propose au Caire deux représentations de zãr par semaine.» Pratiquée par des prêtresses, et malheureusement en voie de disparition, le zãr est intimement lié à l’identité égyptienne : « des années trente jusqu’au début des années 1980, le zãr était pratiqué dans de nombreuses maisons du Caire, pour ses fonctions curatives » explique la chanteuse. « Mon grand-père m’a confié avoir vu, enfant, derrière les portes à moitié closes de sa maison, comment sa tante dansait frénétiquement avec d’autres femmes, et comment il était hypnotisé par les percussions et leur chant. »

Du pain béni pour une artiste, dont la transe et l’élévation par des formes d’improvisation et d’expérimentations innervent la création : « pour moi, il y a un lien artistique évident entre le punk, le zãr et la noise. Ces genres ont nourri mon voyage, mon exploration sonore. J’espère qu’à la fin de cette odyssée, je serais parvenue à établir un endroit, un cadre créatif qui me ressemble. Comme un lieu, capable de contenir toutes ces influences »

Autre pierre, ajoutée à l’édifice sonore de Nadah : la programmation en 2020, d’un line-up 100 % dédiée à l’underground égyptien, concocté pour le festival Nyege Nyege, version online. L’occasion pour l’artiste de mettre la lumière des transfuges de la scène Mahraganat comme 3Phaz, Ibrahim X ou Yunis et de mettre en place une résidence créative avec Freya Edmondes à Kampala.

Productrice, improvisatrice, connue pour ses performances en solo ou au sein du duo pop Yeah You qu’elle forme avec son père et qui se donne pour mission de faire de la musique « n’importe où et n’importe quand » la galloise Freya, connue sous le pseudonyme d’Elvin Brandhi est la parfaite alter ego créative de Nadah, campée de l’autre côté de la Méditerranée : « c’est à Kampala en Ouganda que nous avons posé les bases d’une collaboration à quatre mains » explique Nadah. Baptisée Pollution Opera, cette création trouve ses racines en Égypte : « lors de notre toute première rencontre en Égypte, nous faisions beaucoup de moto avec Freya » se souvient Nadah. « Nous passions alors notre temps à chanter, toutes les deux, lors de ces virées motorisées hyper bruyantes. À Kampala, nous avons également beaucoup roulé. Le son de la rue, du moteur, nos deux voix posées sur toute cette matière sonore nous ont donné envie de composer. Nous nous sommes beaucoup enregistrées, nous nous sommes également filmées, et avons ainsi initié le projet Pollution Opera. »

Ode bruitiste au diesel, déflagration de machines, de grondements de moteurs, de chants et de cris, Pollution Opera était présenté pour la première fois en mars 2023, au festival Banlieues Bleues : « J’aime le paradoxe étrange, l’oxymore créé par l’attelage de ces deux mots antinomiques, pollution, et opéra. Nous aimons l’idée d’appeler opéra une création sonore faîte d’enregistrements du vacarme de la rue et de ses embouteillages. Mais pas uniquement d’ailleurs, puisque les parties chantées sont composées pour ressembler à des chœurs, et le Dj Omar El-Sadek est également sur scène pour y jouer un live vidéo. »

Pour Nadah, « l’improvisation est libératrice. Elle te permet d’accéder à des sonorités, des sensations, des émotions que tu n’imaginais pas. Elle ouvre de nouvelles portes, de nouvelles expériences sonores. Et les musiques arabes sont extrêmement liées à l’improvisation. Certains morceaux de ce patrimoine peuvent durer le temps d’un concert entier, le reste n’est que de l’improvisation. »

Prochaine porte sonore sur le point d’être éminemment ouverte, le second album de Nadah, désormais quasiment en boîte : « il faut dire que mon premier opus commençait à dater. Mais ça y est, mon nouvel album est fini. Je l’ai écrit à Montréal, avec une démarche de songwriting plus appuyée. J’en produis une partie des titres, mais le beatmaker de Mahraganat 3Phaz ou la harpiste Sarah Pagé figurent également au casting des producteurs et productrices ! »

En attendant la sortie du nouvel album de la turbulente Nadah, vous pouvez la retrouver sur scène, au son de Pollution Opera, actuellement en tournée en Europe. Ahwar (2017) est toujours disponible sur Bandcamp.

Cet opéra ne comporte pas de reprises des Misfits.

Le festival Banlieues Bleues se poursuit en Seine St Denis jusqu’au 21 avril 2023.





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